On dit "coup de cœur" mais il ne s'agit pas de ça. On dit aussi "coup de poing" mais merci, je vais très bien. Je vais bien, de retour de la première de Martyr, une mise en scène de Matthieu Roy
du dernier texte de Marius von Mayenburg, car j'ai vu au Théâtre Gérard Philipe ce que seul le théâtre peut dire*.
Benjamin, adolescent, découvre la Bible et nourrit sa crise d'ado de crise mystique, glisse peu à peu dans l'extrémisme religieux pur jus et y entraîne tout son entourage : amis, mère, profs.
Madame Roth, sa professeure de biologie, tente seule de s'opposer au jusqu'au-boutisme du garçon mais se retrouve piégée par ses méthodes de victimisation.
Pendant 1h25, j'ai pensé qu'il était salutaire de rire franchement tout en se prenant nos problématiques sociétales en plein visage : le fanatisme religieux, la place de l'enfant, le rôle du
système d'enseignement et d'éducation, le recours quasi-systèmatique et cristallisant à l'anti-sémitisme et à l'homophobie pour mieux identifier l'ennemi ou le faible, la jeunesse, les messages
contradictoires dans lesquels nous baignons.
Ce que seul le théâtre peut dire, c'est raconter la réalité, raconter une situation qui aurait existé - très certainement pas plus tard qu'hier et pas loin de chez moi - et nous la présenter en
toute vraisemblance, sans pour autant adopter un parti pris réaliste et tout en instiguant cette distance qui nous permet de réfléchir, au sens du reflet déformé (ou pas) de nous-même que nous
observons sur le plateau. Comme pour une reconstitution ou une expérience, l'opportunité est donnée d'observer, d'analyser, de presque vivre et de voir ce que ça fait.
Bref, le procédé du texte n'est pas nouveau (adopter le discours que l'on dénonce par là-même) mais il est particulièrement bien écrit et exécuté dans "Martyr". Il est toujours bénéfique, même si
nos cerveaux on acquis certains décodeurs en temps réels nous permettant de ne pas être dupes, de redécortiquer les processus de manipulation de l'information, information qui nourrit notre
perception du monde. .
Matthieu Roy choisit un habillage sonore et une déformation / amplification des voix pour créer la distanciation, assassiner la vraisemblance et souligner la force ou le ridicule de certains
discours et postures. Sans être particulièrement touchée par ce parti-pris mais c'est néanmoins ce qui permet de ne pas sortir déprimé, laïcard ou catholique de la représentation. Sur le plateau,
ça n'était pas "mon monde", et pourtant cela m'a donné à penser le "mien".
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Martyr de Marius von Mayenburg
Mis en scène par Matthieu Roy – Cie du Veilleur
au Théâtre Gérard Philipe jusqu'au 23 novembre
Avec Claire Aveline, Clément Bertani, Philippe Canales, Romain Chailloux, Carole Dalloul, Rodolphe Gentilhomme, François Martel, Johanna Silberstein
Traduction Laurent Muhleisen | scénographie Gaspard Pinta | costumes Marine Roussel | lumière Manuel Desfeux | son Mathilde Billaud | coiffures, maquillages et effets spéciaux Kuno Schlegelmilch | régie générale et lumière Gabriel Galenne | régie plateau Jean-Charles Pin | régie son Laurent Savatier | Assistanat à la mise en scène Marion Lévêque
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* A lire : Ce que seul le théâtre peut dire d'Enzo Cormann. Edition Les Solitaires Intempestifs
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